11.08.2009

Berlin, capitale européenne des musiques qui avancent

Voici des extraits d'un article lu sur  http://www.lesinrocks.com/ et signé par Jérôme Provençal

"Nous sommes certes pauvres, mais néanmoins sexy.” C’est ce que déclarait, en 2003, Klaus Wovereit, maire-gouverneur (SPD) de Berlin depuis 2001, dans une interview accordée au magazine Focus-Money. Raccourcie en un lapidaire Arm aber sexy (“Pauvre mais sexy”), cette petite phrase clignote désormais tel un slogan aguicheur dont l’impact dépasse les frontières de l’Allemagne. Pauvre, Berlin l’est assurément, qui traîne une dette faramineuse et atteint de peu enviables taux de chômage (jusqu’à 20 % dans certains quartiers). Sur le plan économique, l’euphorie née au soir du 9 novembre 1989 a tourné court – et les lendemains ont déchanté.

Sexy, Berlin le demeure pourtant, en dépit de ses déboires financiers, aux yeux de tous ceux qui rêvent de grands espaces – la superficie de la ville est neuf fois supérieure à celle de Paris – et de longues ivresses –, les bars et les clubs n’ont pas d’heure de fermeture imposée… L’attrait puissant que Berlin exerce maintenant résulte, d’abord et avant tout, de l’extrême vivacité de sa scène musicale, plus particulièrement de sa scène électronique. De cette vivacité témoignent la présence de multiples disquaires et labels – parmi lesquels BPitch Control et Sender Records, qui fêtent tous deux leurs dix ans en 2009 –, le renouvellement constant du paysage des clubs et salles de concerts, et la diversité de la presse spécialisée pour une part gratuite.

Dès la fin des années 1980, avant même la chute du Mur, la musique électronique tambourinait déjà grâce à l’engagement passionné de quelques précurseurs. Ainsi l’UFO, club de Berlin-Ouest, a-t-il décollé en 1988 et tracé la voie pour le Tresor, club devenu mythique, par lequel la fièvre techno s’est emparée de la ville. Depuis, elle n’est jamais retombée. Il est vrai que la techno, synonyme de dureté industrielle autant que de douceur sensuelle, semblait destinée à conquérir Berlin, cité balafrée par l’Histoire, dans laquelle coexistent, en une étrange et incomparable harmonie, immenses étendues de verdure et vastes zones d’architecture austère.

Oui, la techno et Berlin étaient faits l’une pour l’autre. Désignée capitale mondiale de la musique électronique au début des années 2000, la ville a supplanté Detroit et Chicago sous l’impulsion de la vague electro-clash. Elle a survécu à ce phénomène de mode et tient toujours son rang. A l’instar de toutes les métropoles, Berlin abrite une très grande variété de styles musicaux, même si la techno minimale, parfois (souvent ?) si minimale qu’elle en devient minimolle, occupe depuis plusieurs années une évidente position dominante. Heureusement, des groupes tels que Monosurround, Cobra Killer ou Dirt Crew et des labels tels que Shitkatapult ou Supersoul Recordings résistent vaillamment à cette hégémonie minimale.

Dans la nuit du Berlin d’aujourd’hui se dresse un phare aux dimensions colossales qui aimante par milliers des papillons hédonistes venant de toute l’Europe : le Berghain. N’y entre pas qui veut – la sécurité opère une intransigeante sélection – mais une fois à l’intérieur personne n’y résiste… Du dance-floor principal à celui, plus petit mais non moins agité, du Panorama Bar, en passant (ou pas…) par la backroom, circule une musique d’une intensité stupéfiante et d’une énergie considérable. Quoi de plus normal : il s’agit d’une ancienne usine (centrale ?) électrique. Fort d’une solide escouade de DJ résidents, à la tête desquels Ben Klock et Marcel Dettmann, et de son propre label Ostgut Ton, le Berghain symbolise, en sus d’une conception extensive de la fête, une vision prospective de la musique électronique.

Derrière le Berghain se cache une myriade d’autres lieux, plus ou moins grands et plus ou moins excitants. Outre le Tresor, qui vrombit toujours mais a perdu beaucoup de son aura, on peut citer le Watergate, qui bénéficie d’une vue imprenable sur la Spree ; le Maria, qui accueille notamment l’excellent festival Club Transmediale ; l’Astra, le Bang Bang Club et le Lido, trois salles de concerts à la déco typisch Berlin ; le Golden Gate, passage obligé des amateurs d’after-hours ; le Mädcheninternat, juché sur les hauteurs de Prenzlauer Berg ; ou le WMF, dans lequel Boys Noize, Berlinois d’adoption, ont récemment célébré la sortie de Power, son bien nommé nouvel album.

Il convient d’ajouter le Club der Visionaere, charmante guinguette electro longeant le Landwehrkanal, ainsi que le Bar25, haut lieu du n’importe quoi systématique où la musique joue un rôle tout à fait secondaire… Le Bar25 et le Club der Visionaere font partie de ces endroits qui prennent toute leur dimension l’été lorsque Berlin – l’hiver a méchamment tendance à durer six mois – laisse libre cours à ses penchants méditerranéens. Les parties organisées en plein air se multiplient et n’exigent aucune autorisation particulière…

A l’issue d’une fête de dix jours non-stop, le Bar25 a (provisoirement ?) fermé ses portes le 31 août dernier. Son emplacement actuel, en bord de Spree, étant fortement menacé par un gros projet d’investissement immobilier, il va sans doute bientôt devoir changer d’air(e). Par ailleurs, en septembre, deux lieux très prometteurs, la Jacky Terrasse, greffée sur le Maria, et la Stadtbad Wedding, une ancienne piscine municipale, ont dû cesser leurs joyeuses activités à la suite de plaintes du voisinage. Même le SO36, bastion de l’Untergrund berlinois des années 1980, risque de fermer si les tauliers n’effectuent pas de coûteux travaux d’insonorisation.

De fait, la permissivité qui régna durant les premières années suivant la chute du Mur, et qui fit alors de Berlin un grisant champ des possibles, semble bien n’être plus qu’un lointain souvenir : ici aussi l’ordre gagne du terrain – mais les forces du désordre n’ont pas dit leur dernier mot…